1.1 Résumé :
Les produits de la filière cameline sont dotés de caractères nutritionnels et santé uniques par rapport aux autres filières animales et méritent d’être exploré et valorisé, ce qui aura des retombées positives sur l’économie des populations sahraoui de notre pays. La caractérisation biochimique et sensorielle des produits des populations camelines associée à une identification phénotypique, génotypique des cheptels et des systèmes d’élevage préexistant permettra de ficeler des associations entre ces caractères et ainsi de positionner la qualité de nos produits camelins locaux.
La valorisation des produits camelins et l’exploitation des vertus « santé », implique une investigation de l’environnement industriel pour orienter le choix de technologie de transformation à adopter. Aussi, une bonne connaissance des effets et des limites des traitements technologiques est nécessaire, surtout pour le lait de chamelle, vu son caractère instable et difficilement transformable par rapport aux autres laits.
Les enjeux de cet axe de recherche sont de mettre en valeur la qualité nutritionnelle et sensorielle des produits camelin (principalement le lait) dans leurs biosphère typique, d’étudier de nouvelles voies de valorisation et d’établir un livret pratique et simplifié au profit des coopératives et / ou industriels
Mots clés : camelin, dromadaire, lait, viande, qualité, biochimique, microbiologique, sensorielle, valorisation
1.2 Contexte et point de situation
1.2.1 Orientations stratégiques :
Un diagnostic réalisé sur l’élevage camelin à Laâyoune (OCP et FOCP, 2015) a ressorti un certain nombre de contraintes liées aux différentes chaînes de valeurs qui forment la filière cameline et sont liés à différents niveaux :
1. Chaîne de valeur du lait de chamelle (production laitière, système de collecte et sa valorisation et ses circuits de commercialisation) :
- Faible productivité laitière cameline,
- Faible revenu des éleveurs,
- Faible rentabilité de la chaîne de valorisation laitière,
- Caractère aléatoire de la production liée à la transhumance des troupeaux,
- Difficulté de collecte de lait,
- Insuffisance et irrégularité de l’approvisionnement des unités et points de vente en lait,
- Faible niveau de commercialisation et de communication publicitaire,
- Durée de conservation de lait limitée (4-5 jours) combinée à l'éloignement des centres de production,
- Discontinuité dans l’approvisionnement du marché en lait pasteurisé,
- Manque de connaissances sur la génétique et la productivité des camelins
2. Chaîne de valeur de la viande Cameline:
- Production très faible et irrégulière,
- Existence d’unités, mais non agrées,
- Modèle de gestion inapproprié,
- Insuffisance de l’encadrement technique,
- Insuffisance du fonds de roulement,
- Manque de connaissances sur la génétique et la productivité des camelins
3. Développement du secteur de laine du dromadaire:
- Absence totale de valorisation de laine de dromadaire : potentiel estimé à 300 tonnes/an,
- Manque à gagner en termes de développement de produits à base de laine cameline,
- Pertes des valeurs culturelles régionales liées au tissage et à la transformation de la laine de dromadaire
4. Développement du secteur de peaux et cuir du dromadaire :
- Manque à gagner au niveau régional en termes de transformation des peaux du dromadaire
1.2.2 Etat de l’art :
De nos jours, le lait camelin a le vent en poupe du fait de sa haute qualité alimentaire et valeur thérapeutique (Bekele et al., 2011). En effet, il est plus riche que celui du lait de vache, essentiellement en matière protéique, lactose et légèrement en matière grasse (Sboui, 2009). Le lait camelin est bien connu par son taux élevé en vitamine C (Farah et al., 1994; El- Hatmi et al., 2006) qui peut se trouver en des quantités plus importantes de 10 à 100 fois plus que celle existante au niveau du lait de vache (Konuspayeva et al., 2004). Cependant, la composition du lait camelin est considérée moins stable que les autres espèces notamment le lait bovin (Al haj et al., 2010). Ses constituants connaissent des variations importantes attribuées à plusieurs facteurs tels que l’emplacement géographique, l’alimentation, la race et d’autres facteurs comprenant le stade de lactation, l’âge et la parité (Khaskheli et al., 2005). Les chameaux sont connus par produire du lait dilué durant les climats chauds lorsqu’il y a une pénurie d’eau (Farah et Fisher, 2004).
Les facteurs "santé" attribués au lait de chamelle et ses produits transformés peuvent être liés à certains de ses composants : lactoferrine, immunoglobuline, lysozyme, lactoperoxydase, vitamine C. Ces composants généralement présents dans des laits d’autres espèces, auraient la particularité chez la chamelle d’être thermorésistants comme c’est le cas pour la lactoferrine (Konuspayeva et al., 2004). Cette composition unique le rend bien adapté aux exigences du corps humain et peut être considéré comme un médicament naturel doté de propriétés curatives (Yagil, 2004). Sa teneur spéciale en protéines protectrices susmentionnée dotées de propriétés antibactériennes et immunologiques (Kappeler, 1998), lui attribue un effet positif chez les enfants souffrant d'allergies alimentaires graves (Shabo et al., 2005). Ainsi qu’il est apprécié traditionnellement pour ses propriétés anti-infectieuses, anticancéreuses et antidiabétiques (Konuspayeva et al ., 2004).
Le lait de chamelle contient de fortes concentrations d'insuline 150 U / ml (Zagorski et al., 1998) permettant “le traitement” du diabète. Aussi, les effets et interactions de l'utilisation du lait de chamelle sur la fonction hépatique ont étés étudiés (Sharmanov et al., 1978; Zagorski et al., 1998; Zhangabilov et al ., 2000).
Afin de bénéficier au maximum de ces vertus tant sur le plan nutritionnel que santé pour toute la population marocaine, la préservation du lait camelin est d’une grande importance afin d’assurer un long shelf life allant de quelques jours à plusieurs mois permettant ainsi aux consommateurs de se procurer de cette denrée dans toutes les régions du Royaume. Néanmoins, la transformation et le traitement thermique de cette denrée connaît plusieurs challenges technologiques. En effet, le lait de dromadaire ne peut pas être transformé en yaourt, fromage et beurre par l’application des diagrammes technologiques classiques. Comparé au lait de vache, le lait de chamelle est pauvre en caséine Kappa (5% de la caséine totale vs. 13,6% pour le lait de vache), il est doté aussi d’un potentiel électrique différent que celui du lait de vache ce qui provoque une faible mobilité électrophorétique et donc un faible équilibre minéral amplifiant son inaptitude à la coagulation. En outre, le lait de chamelle offre une résistance plus marquée aux fermentations lactiques dû à son pouvoir tampon naturel et à sa composition en agents antimicrobiens naturels. Enfin, la matière grasse du lait de chamelle est difficilement barratable due à la taille spéciale des globules gras ainsi qu’au taux bas d’agglutinine. Ces difficultés de transformation, seraient contournables par des adaptations technologiques couramment utilisées en industrie laitière pour corriger les laits. A ce moment les rendements soit en fromage, en yaourt sont comparés à ceux obtenus suivant la même technique avec le lait de vache. Un yaourt à base du lait de dromadaire lui faut un ajout de l’ordre de 11,5 à 12,5% en poudre du lait de vache pour avoir une meilleur texture (Kamoun et al, 1992)
Cependant, peu de recherches ont été réalisées sur la caractérisation et la valorisation du lait de l’espèce cameline au Maroc. Dans ce cadre, un certain nombre de travaux ont été réalisés et ils ont montré qu’en zones sahariennes du sud marocain, une chamelle produit en moyenne 3 à 6 litres/j de lait respectivement en moyenne et bonne année (MADRPM, 1998). Cette production varie aussi selon la race ; elle est de 2 à 3 l/j chez la race ‘’Guerzni’’, 10 l/j chez la ‘’Marmouri’’. Le lait de chamelle, appelé localement ‘’Frik’’, connaît une forte demande surtout à l’occasion du mois de Ramadan (Laaâbid, 2007). Il est consommé généralement cru ou additionné de sucre et d’eau (‘’Z’rig’’). On ne le transforme pas ni en fromage ni en beurre car il est difficilement caillé. Toutefois, il existe une longue technique traditionnelle appelée ‘’Al-Garce’’ qui consiste à faire fermenter le lait. Ces dernières années, on assiste au développement autour des centres urbains d’unités de production du lait de chamelle. Des travaux récents ont concerné l’évaluation de la composition physicochimique et microbiologique du lait de chamelle dans le Sud du Maroc. Ces travaux ont permis de dresser le profil biochimique du lait des chamelles et ont montré aussi que le lait en question est de faible qualité hygiénique attribuée essentiellement aux conditions de la traite et de manipulation (Ismaili et al., 2019). Par ailleurs, aucune étude scientifique à l’échelle nationale n’a été faite sur la transformation et le processing du lait des chamelles.
Au vu de cette composition originale reconnue par rapport aux autres laits, la caractérisation du lait de chamelle, tout en considérant ses facteurs de variation, serait intéressante à confronter et constituera une étape cruciale quant à sa valorisation socio-économique à l’échelle national à l’heure où il y a une forte demande des produits d’origine cameline. En plus, un diagnostic de toute la chaîne de valeur de cette filière cameline accompagné d’une caractérisation approfondie de la qualité biochimique et microbiologique du lait permettra de mieux valoriser cette denrée.
Liste des références bibliographiques
Bekel T., Lundeheim N. and Dahlborn K. (2011). Milk production and feeding behaviour in the camel (Camelus dromedarius) during 4 watering regimens.J Dairy Sci., 94:1310.
El-Hatmi H., Khorchani T., Attia H., 2006.Characterization and composition of camel's(Camelusdromedarius) colostrum and milk, Microbiol. Hyg. Alim 18. P 13-17.
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Farah Z. et Fischer A., 2004. Milk and Meat from the Camel Handbook on Products and Processing, p 26.
Kamoun M., 1992 .Le lait de dromadaire : production, aspects qualitatifs et aptitude à la transformation, Elevage et alimentation du dromadaire = Camel production and nutrition. CIHEAM-IAMZ, 1995. p 81-103
Kappeler, S. (1998). Compositional and structural analysis of camel milk proteins with emphasis on protective proteins. Ph.D. Diss. ETH No. 12947, Zurich.
Khaskheli, M., Arain, M. A., Chaudhry, S., Soomro, A. H., & Qureshi, T. A. (2005). Physico-chemical quality of camel milk. Journal of Agriculture and Social Sciences, 2, 164e166
Konuspayeva, G., Faye, B., & Loiseau, G. (2009). The composition of camel milk: a meta-analysis of the literature data. Journal of Food Composition and Analysis,22, 95e101.
Konuspayeva, G., Faye, B., & Loiseau, G. (2004). La plus-value "santé" du lait de chamelle cru et fermenté: l’expérience du Kazakhstan. Rencontres recherches ruminants 2004
Ismaili, M. A., Saidi, B., Zahar, M., Hamama, A., & Ezzaier, R. (2019). Composition and microbial quality of raw camel milk produced in Morocco. Journal of the Saudi Society of Agricultural Sciences, 18(1), 17-21.
Omar A. Al haj, Hamad A. Al Kanhal (2010).Compositional, technological and nutritional aspects of dromedary camel milk. International Dairy Journal 20 (2010) 811- 821.
Shabo Y, Barzel R, Margoulis M and Yagil R.,2005. Camel Milk for Food Allergies in Children In Immunology and Allergies journal.7:P 796-798.
Sboui, A., Khorchani,T .,Djegham, M., et Belhadj, O., 2009. Comparaison de la composition physicochimique du lait camelin et bovin du Sud tunisien; variation du pH et de l’acidité à différentes températures.
Urazakov, N.U. & Bainazarov, S.H.,1974. The 1st clinic in history for the treatment of pulmonary tuberculosis with camel’s sour milk. Probl. Tuberk. 2:89-90.Yagil R., 2004. Camel Milk and Autoimmune Diseases:Historical Medicine, p 7.
Yagil, 2004. Camel Milk and Autoimmune Diseases:Historical Medicine.2004.
Zagorski, O., Maman, A., Yaffe, A., Meisles, A., van Creveld, C., Yagil, R.,1998. Insulin in milk – a comparative study. Int. J. Animal Sci. 13: P 241-244.
Zhangabilov, A.K, Bekishov, A.A.C. & Mamirova, Y.N.,2000. Medicinal properties of camel milk and shubat. In: Proc. 2nd Intl.Camelid Conf. Agro-economics of Camelid Farming. Almaty, September 2000, p 100.
1.2.3 Justification du projet (intérêt et originalité)
L’élevage camelin des régions désertiques du Maroc est une activité identitaire très forte des populations sahraouies (Michel et al., 1997).En effet, il joue un rôle important, vue les atouts remarquables dont dispose cet animal, dans la valorisation des zones écologiques où les faibles disponibilités en eau et ressources alimentaires rendent très précaire la présence d’autres espèces domestiques. En effet, le dromadaire permet aux chameliers de soutirer toute une gamme de services (en tant qu’animal de bât) et de produits (viande, lait, poils). Ces dernières années et suite à une demande de plus en plus croissante de la part des consommateurs, les chameliers commencèrent à orienter leurs dromadaires vers la production de lait, une filière qui auparavant était vouée essentiellement à l’autoconsommation (Faye et al., 2003). D’après les statistiques de la FAO (2018), la production laitière cameline nationale est estimée à 9000 tonnes de litres. Ces chiffres restent des estimations vue qu’il n'existe que très peu d'études complètes au niveau du Maroc rapportant les productions sur des lactations entières en précisant les conditions de la traite et la qualité du lait produit. Une étude réalisée par kamoun et al.(1992) montre qu'au sein des dromadaires Maghrébins, il existent des animaux dont la production peut varier entre 4,5 et 14 litres par jour. Ce potentiel laitier mérite d'être valorisé et aura des retombées économiques importantes pour le développement de la région et la création d’activités génératrices de revenu pour la population sahraouie.
L’étude de la caractérisation microbiologique et physico chimique du lait camelin est une nécessité pour une meilleure valorisation de ce lait et l’adéquation de la transformation de ce lait, connu par des difficultés technologiques, à des fins de salubrité et de préservation de sa valeur nutritive et sanitaire. Au niveau du Maroc, les études entreprises sur le lait camelin sont limitées et restent timides (cf. 1.2.2 Etat de l’art) compte tenu du potentiel de cette ressource naturelle.
Cet axe vise, d’une part, une meilleure connaissance des caractéristiques et critères de qualité des produits d’élevage (lait, viande). Le but est de mettre en exergue les qualités des produits d’élevage camelin et l’augmentation de leur durée de vie tout en préservant leur valeur nutritive incontestable ce qui permettra une pénétration aux marchés lucratifs. D’une autre part, cet axe proposera de tester quelques voies de valorisation et de transformation du lait camelin dans une perspective de proposer aux coopératives et unités de valorisation des process de transformation bien étudiés sur le plan scientifique et ayant une rentabilité technologique. Ainsi, cette étude sera basée sur une caractérisation des qualités nutritionnelles, sensorielles et technologiques des produits animaux et l’étude des possibilités technologiques de formulation de nouveaux produits destinés au profit des acteurs de cette filière.