1.1 Résumé :
De par ses stratégies sectorielles et de leurs déclinaisons territoriales et thématiques, l'agriculture marocaine conçoit son apport à l'économie nationale sur deux piliers que sont l'encouragement de la production à haute valeur ajoutée des périmètres à intensification et la réhabilitation et conservation des espaces agricoles fragiles. Ceci a mené d'une part à la diversification des aménagements hydro-agricoles et l'encouragement de l'intensification sous Grande Hydraulique (GH), et d'autre part à la volonté d'extension de la SAU à travers l'ouverture à l'intensification de nouveaux terrains tels que la Petite et Moyenne Hydraulique (PMH) et les terrains collectifs prévus dans le cadre de la stratégie Génération Green. Que ce soit pour les périmètres irrigués et pluviaux traditionnels ou pour ceux prévus à exploiter, la mise en production durable sous différents systèmes est tributaire, en plus de la disponibilité en eau et d'un environnement adéquat, de la capacité des sols à soutenir la production des systèmes actuels et prévus, tout en gardant un œil sur les prévisions de la situation climatique à moyen et long termes, et ce selon les différents scénarios climatiques. De ce fait, l'étude spatiale du potentiel agricole des sols demeure toujours une voie de recherche stratégique à mener au Maroc, pays où la disponibilité en terres agricoles subit de fortes pressions naturelles et anthropiques. De plus, il s'avère de nos jours judicieux de projeter l'étude spatiale aux futurs scénarios du changement climatique et de prédire les changements potentiels de la vocation agricole des terres dans les différentes zones agro-écologiques de la SAU marocaine.
Dans ce sens, le présent axe de recherche vise l'évaluation de l'impact du changement climatique, à travers la réduction des précipitations annuelles, sur la répartition de l'aptitude des sols des périmètres irrigués (GH et PMH traditionnelles et nouvellement installées) et de l'extension des zones bour (ouverture de nouveaux périmètres, terrains collectifs). Les zones ciblées sont représentatives de la SAU marocaine, elles couvrent le Maroc Central (quatre périmètres irrigués et PMH et zones bour du Saïss), le Nord (Tangérois, Al-Hoceima et Loukkos), l'Oriental (Hauts plateaux et Moulouya) et le Souss (oasis espaces fragiles). Selon les objectifs assignés à chaque périmètre, la cartographie de l'aptitude actuelle des sols sera réalisée pour les cultures prévues en utilisant, entre autres, les standards du cadre de travail de la FAO (GAEZ 2012). Les tendances de l'aptitude des sols sous le changement climatique se fera par la modélisation sur plusieurs scénarios climatiques (RCP: Representative Concentration Pathway), en utilisant des modèles de prévision des rendements pour les cultures annuelles et des modèles de simulation d'aptitude pour les cultures arboricoles. La modélisation permettra d'établir des cartes de tendances des aptitudes et des rendements, ce qui mènera aidera les décideurs à mener des réflexions fondées sur les futurs assolements durables.
Mots clés : Vocation Agricole, Sol, Changement climatique, Cartographie, Modélisation, Maroc Central, Saïss, Oriental, Nord, Souss.
1.2 Contexte et point de situation
1.2.1 Orientations stratégiques
Depuis la conception et la mise en œuvre de l'ancienne stratégie nationale du Plan Maroc Vert (PMV) et sa déclinaison explicite en filières de production et domaines transverses, le Maroc a établi le concept de durabilité en tant que maillon central du secteur agricole. Avec l'avènement de la nouvelle stratégie Génération Green (GG), il est certain que l'agriculture marocaine se dote continuellement de visions pratiquement décadaires mais dont la perspective à long terme dépasse la décade. L'adoption de telles visions a pour but un gain maximal en durabilité des systèmes de production agricole, tant sur le plan de techniques de production que ceux des circuits de commercialisation ou des ressources naturelles disponibles, notamment le sol et l'eau. Dans ce sens, le changement climatique et son impact sur le potentiel des ressources en sols et en eau, et par cela sur la productivité des périmètres irrigués et pluviaux, se tient comme défi majeur face à la durabilité des systèmes de production agricole au Maroc. Les retombées pour le cas de la GH et de la PMH sont importantes vu leurs taux de participation au PIB agricole et à l'export, tandis que les retombés sur les périmètres bour se manifestent par un déclin des compétitivité des petits et moyens agriculteurs et la fragilisation des ressources en sol. Pour cela, la stratégie GG ayant accordé une place importante à l'agriculture moyenne et de subsistance aux côtés de l'agriculture intensive, l'étude du potentiel agricole des sols sous environnements représentatifs (irrigué, pluvial, intensif, fragile) s'avère un axe de recherche à forte portée et contribuera au développement agricole par l'appui à la stratégie GG à travers des outils d'aide à la décision en livrables cartographiques digitaux.
Il est à rappeler qu'au Maroc, le changement climatique s'est manifesté par l'enregistrement d'une augmentation moyenne de la température de 1°C depuis les années 1960, et par la récurrences des années de sécheresse. De plus, les scénarios futurs indiquent unanimement une tendance continue d' augmentation moyenne de la température de 2,9°C à l'horizon de 2050 et une réduction des précipitations annuelles entre 10% à 30%. Ces effets sont prévus avoir un impact direct sur la quantité d'eau reçues dans les zones bour et celle disponible aux barrages et aux aquifères dont la fraction dédiée à l'irrigation sous GH et PMH. Alors que plusieurs solutions curatives peuvent être envisagées comme la désalinisation de l'eau de mer pour les périmètres se situant près des côtes, il y a lieu à chercher également d'autres visions préventives comme la modélisation de l'impact du changement climatique sur le potentiel de production des sols, où cet axe de recherche trouve sa place.
1.2.2 Etat de l’art :
Durant la dernière décennie comme auparavant, plusieurs instituts de recherche et organismes gouvernementaux œuvrent à développer des approches intégrées pour l'utilisation optimal des terres agricoles (Seyedmohammadi et al., 2019). Dans ce sens, l'étude de la vocation agricole des terres et de l'aptitude des sols est souvent appelée pour délimiter les unités de sols à même de supporter durablement différentes cultures (McDowell et al., 2018). En éditant des cadres de travail régulièrement actualisés, la FAO développe des approches d’évaluation du potentiel agricole des terres sous agriculture pluviale et irrigué (IAASA and FAO., 2012). Ces approches considèrent dans leur cadre large des intrants liés au sol, à l’hydrologie, au pédo-climat ainsi qu'à l’agroéconomie sol. Du côté cartographie, le développement des modes d’acquisition et de traitement de l'information géographique numérique et des techniques de la cartographie digitale des sols fait de plus en plus appel aux approches cartographiques qui couplent les approches expert (Expert-based processiong) à la modélisation et la cartographie automatisée (Automated map production) (USDA., 2012).
La nouveau cadre de travail de l'évaluation des terres de la FAO (IAASA and FAO., 2012) scinde les facteurs à considérer dans l’évaluation du potentiel agricole des terres en trois familles : (i) le facteur sol (ii) le facteur climat (iii) le facteur agro-édaphique, traduisant le niveau de management et les différents scénarios des techniques culturales, en focalisant sur les techniques à vertu conservatoire. Pour le cas particulier des périmètres irrigués, les paramètres facteurs déterminants sont ceux dont le changement affecte significativement le comportement des sols: (i) caractéristiques chimiques (pH, salinité et dominance du sodium échangeable) (ii) caractéristiques physiques (profondeur, texture, teneur en matière organique et teneur en calcaire) (iii) caractéristiques hydrodynamiques (réserve utile et capacité de rétention d’eau, drainage). Ces paramètres sont ceux reportés dans l’ensemble de la littérature (Hoseini., 2018., Safari., 2013., Abaji., 2010.). Le cadre constitue également un référentiel qui aide à la standardisation des processus et des outputs cartographiques liés à l'étude du potentiel agricole des sols.
D'un autre côté, e potentiel agricole des sols est affecté par les fluctuations de l'environnement, en particulier le changement climatique. En effet, les dernies rapports du GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental pour l'Étude du Climat) confirment les projections climatiques prévoyant à la fois une augmentation des températures et de leur variabilité d'ici la fin du XXIème siècle, avec en corollaire une augmentation de la fréquence des événements extrêmes (dont sécheresse, choques de température). Les systèmes agricoles étant intimement liés au changement climatique, l’évolution du climat projeté pour les prochaines décennies aura des impacts sur la production agricole variés selon les régions, traduits généralement par la réduction du cycle pour les cultures annuelles telles que le blé (Benaouda et al, 2009). Pour les cultures pérennes, essentiellement arbres fruitiers (Seguin., 2010), le facteur primordial devrait être l’avancée des stades phénologiques, d’autant plus marquée que l’on s’éloigne en cours de saison de la levée de dormance, qui risque elle d’être plus tardive à cause du manque de froid. En ce, les outils de modélisation et de simulation sont importants pour l'étude de l'impact du changement climatique sur le potentiel agricole des sols et en cela sur la durabilité des systèmes de production agricoles.
Listes des références bibliographiques :
Albaji, M. 2010. Land Suitability Evaluation for Sprinkler Irrigation Systems. Khuzestan Water and Power Authority (KWPA), Ahwaz, Iran.
Benaouda, H., Balaghi, R. 2009. Les changements climatiques : impacts sur l’agriculture au Maroc. Proceedings du symposium international « AgruMed », Rabat – Maroc, 14-16/05/2009
IIASA and FAO. (2012). Global Agro‐ecological Zones (GAEZ v3.0).IIASA, Laxenburg, Austria and FAO,Rome, Italy.
IPCC.(2014).Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability.
Seguin, B. Le changement climatique : conséquences pour les végétaux. Quaderni, 2010. 71, 27–40.
USDA. (2012). Agricultural Atlas Maps. Census of Agriculture.
Hoseini, Y. 2019. Use fuzzy interface systems to optimize land suitability evaluation for surface and trickle irrigation. Information Processing In Agriculture 6 (2019) 11–19
McDowell, R.W., Snelder T., Harris, S., Lilburne, L., Larned, S.T., Scarsbrook, M.. Curtis, A., Holgate, B., Phillips, J., Taylor, K. 2018. The land use suitability concept: Introduction and an application of the concept to inform sustainable productivity within environmental constraints. Ecological Indicators 91 (2018) 212-219
Safari, Y. 2013. Qualitative Land Suitability Evaluation for Main Irrigated Crops in the Shahrekord Plain, Iran: A Geostatistical Approach Compared with Conventional Method. Pedosphere 23(6): 767–778.
Seyedmohammadi, J., Sarmadianb, F., Jafarzadeha, A.A., McDowell. R.W. 2019. Development of a model using matter element, AHP and GIS techniques to assess the suitability of land for agriculture. Geoderma 352: 80-95
1.2.3 Justification du projet (intérêt et originalité)
Cet axe de recherche converge avec les aspirations des parties prenantes du secteur agricole du Maroc, d'une part en termes de durabilité des périmètres agricoles et d'autre part en termes de diversification d'outils de travail digitaux et de support cartographiques numériques. Les livrables de l'axe intéresseront plusieurs bénéficiaires directs, tels que les Directions Régionales de l'Agriculture à travers les ORMVAs et les DPAs qui, par les cartes et les rapports établis, auront une vision sur les cultures qui s'adapteront le mieux au changement climatique, et ce selon des critères et une approche scientifiques. Ces offices et directions, en plus de l'ONCA, auront à prendre les résultats de ce projet à coté de leurs stratégies et plans d'action. Également, les services du Ministère de l'Agriculture, en particulier la Direction de la Stratégie et des Statistiques, pourront utiliser les bases de données SIG et les résultats des modélisations et les coupler aux autres bases de données et élargir les informations disponibles sur le potentiel des sols des périmètres irrigués, des PMH, des périmètres bour et des terres collectives qui s'ouvriront à exploitation.
De plus, les bases de données générées enrichiront celles dont dispose l'INRA et feront partie intégrante du système Big Data dont le développement est prévu pour le PRMT 2021-2024 (Axe 3 de ce mégraprojet).
1.2.4 Transfert des résultats
Les bases de données cartographiques développées dans cet axe de recherche seront transférées aux différents utilisateurs potentiels (DSS, DRAs, ORMVAs et ONCA) à travers les Services de Recherche et de Développement des Centres Régionaux de l’INRA des périmètres étudiés, ainsi qu’à travers différents autres canaux tels que l’organisation de journées thématiques.