4.1 Résumé :
Alors que le gouvernement du Maroc met en œuvre différentes stratégies pour développer son agriculture, le secteur n'a pas atteint l'autosuffisance alimentaire et les potentiels d'exportation. La chaîne de valeur des légumineuses, qui joue un rôle majeur dans la production végétale et la conservation des sols, est particulièrement confrontée à des défis. Les recommandations concernant les variétés, la mécanisation de la récolte, les traitements des maladies et la diversification des formes de valorisation ne tiennent pas compte des mécanismes de gouvernance et de gestion de la chaine de valeur de ces légumineuses et par conséquence le secteur ne sera pas réhabilités et non plus ses performances améliorés. Le contexte actuel de production agricole exige de nouvelles formes de coalition et un lobbying puissant en mesure de valoriser les acquis de la recherche et contribuer à la réhabilitation des légumineuses alimentaires à travers des politiques agricoles appropriées.
Ainsi cette activité s’inscrit dans la continuité des recherches sur la filière des légumineuses lancées depuis 2012 par l’INRA en collaboration avec l’ICARDA dans le cadre du programme IMILA. Cette initiative a permis de mettre en place des plateformes partout au Maroc et aussi de développer une base de données sur plus de 500 exploitations agricoles. En plus, il a été possible de conduire des études et investigations sur les systèmes de production, la chaine de valeur, les formes organisationnelles locales et les politiques agricoles. Tous ses travaux, associés aux recherches sur les aspects agronomiques et technologiques n’ont pas été en mesure à réhabiliter la place des légumineuses au niveau des systèmes de production. En plus la sole des légumineuses a connu un décroissement ces trois dernières années. A cet égard d’autres aspects doivent être étudiés pour assurer le développement des légumineuses alimentaires et aussi accélérer leur adaptation au niveau du système de production.
Ce travail de recherche vise le développement des légumineuses alimentaires à travers l’analyse des acteurs de la filières et la proposition de nouveaux mécanismes de collaboration en mesure d’améliorer la gestion et la gouvernance de la filière légumineuses en insistant plus sur la chaine de valeur des semences.
Mots clés :
4.2 Contexte et point de situation
4.2.1 Orientations stratégique
Malgré le progrès de la recherche scientifique sur les légumineuses, le niveau des rendements de la filière est loin de dépasser 8 qx/ha. Ce faible niveau s’explique en partie par un retard patent au niveau de la mécanisation de la culture des légumineuses qui exige la mobilisation de beaucoup de main-d’œuvre. Parmi les limites relevées par l’enquête de l’INRA, figure la très faible utilisation des semences certifiées des légumineuses alimentaires et une conduite technique inappropriée. En plus, l’analyse de la filière a montré la multitude des acteurs impliqués dans la production et la valorisation des légumineuses et une faible coordination entre agents. Le projet IMILA a montré l’existence d’un disfonctionnement de la chaine de valeur des légumineuses et le manque de collaboration et de partage d’opinions en ce qui concerne les composantes de la chaine depuis l’amont jusqu’à l’aval. Ainsi, la chaîne de valeur des légumineuses est très fragmentée, réduisant ainsi la visibilité pour les industriels, les commerçants et les producteurs eux-mêmes. Aussi, l’absence d’organisations représentant les différents agents et professionnels de la filière est un problème lui-même. Une situation qui affecte considérablement les performances et la rentabilité, et par conséquent la compétitivité. Cette dernière qui ne cesse d’augmenter la dépendance vis-à-vis d’autres pays et offrir l’opportunité aux industriels agréés d’importer plus et pénaliser la production nationale ;
Il est certain que la qualité des produits des légumineuses est liée à la variété et à la conduite agronomique. Donc, il est impératif de traiter la problématique des performances des légumineuses par l’analyse des préférences en traits génétiques des agents de la filière en relation avec la valorisation. La nouvelle stratégie GG mise sur l’investissement et le développement d’une classe intermédiaire des agriculteurs. Cette dernière qui devra, sans doute, reposer sur l’amélioration de la production et la valorisation des légumineuses, surtout que ces dernières présentent un éventail d’option de transformation et de valorisation. Cependant ces dernières reposent sur le potentiel génétique des variétés utilisées. il est à noter que le niveau d'adoption des variétés est faible et très vulnérable à la compétition internationale. Le contexte actuel est marqué par:
• une désorganisation totale de la filière
• une grande diversité des acteurs actifs au sein de la filière sans gouvernance
• une vulnérabilité des légumineuses alimentaires au changement climatique et des mécanismes d'adaptation des systèmes de production compromettant les ressources naturelles
• un marché international très dynamique et très compétitif
• un libre échange et une politique agricole à revoir
• une efficience technique faible et de plus en plus nécessitant des programmes de transfert de technologies adaptés à la diversité des structures des exploitations et des modèles de production
4.2.2 Etat de l’art :
L'agriculture, en particulier l'intensification des cultures grâce à l'adoption de technologies modernes, a été suggérée comme moyen de produire plus de nourriture pour mettre fin à la famine (Bindraban et al., 2018) et à la pauvreté (Wossen et al., 2017; Christiaensen et al., 2011) . il est évident que la variété contribue à améliorer les rendements des cultures. L'amélioration des plantes, pour apporter sa contribution au niveau de l'agriculteur, sous forme de variétés avec des caractéristiques bien définies, a besoin de semences de qualité. La semence est le véhicule du progrès génétique (Gallais, 2018). Donc il est nécessaire de faire le point sur l'évolution de la filière semences. Il faut savoir dans quelle mesure l'évolution des connaissances en génétique et les progrès agronomiques impactent la productivité et la valeur économique des légumineuses, dans notre cas. L'impact de la sélection et de la création de variétale des légumineuses sur la diversité des variétés à la disposition de l'agriculteur est à considérer. Il s’agit d’efforts soutenus et de longues années de recherche.
Les agriculteurs organisés en association, GIE ou coopérative sont de plus en plus nombreux à avoir développé tout un savoir-faire, le long de leur participation aux essais, leur permettant de mesurer l’impact des actions d’IMILA en termes de « changement » sur les personnes desservies. Ils maîtrisent certains concepts clés d’évaluation d'impact; en particulier les assolements, la production, le revenu, la fertilité des sols, la consommation et la commercialisation. Parfois, il a été nécessaire d'utiliser des variables d'approximation en cas de mesure d'indicateurs complexe. Ainsi, il a été possible d'évaluer le processus utilisé dans la conduite des activités d'IMILA, en particulier la plateforme d'innovation qui a été adoptée pour réunir toutes les compétences et tous les acteurs autour de la question de réhabilitation des légumineuses.
Une proportion de plus en plus importante d’organismes ne mesure plus seulement leurs résultats en termes de pourcentage de satisfaction ou de nombre d’activités réalisées. Ils mettent en valeur le processus adopté par les participants en termes de prise de conscience, d’apprentissages, de développement de nouvelles idées ou encore de prise en charge individuelle ou collective de l'innovation en question. A cet effet, il faut noter que le choix des méthodes d’analyse peut être pragmatique et opportuniste selon la nature du problème, la disponibilité des données et les possibilités offertes par l’expérimentation. Les essais conduits au niveau des plateformes peuvent être notamment associés à des données secondaires pour évaluer les gains en rendements et les possibilités d’adoption des nouvelles technologies ; en particulier les variétés.
Dans le cadre du projet IMILA (2013-2018), les équipes de recherches dans différentes régions ont optées pour le concept de plateforme d’innovation dans la perspective d’explorer plusieurs aspects comme le rendement, la gestion des intrants, la chaîne de valeur des légumineuses alimentaires, le genre, le travail, le revenu des ménages, la sécurité alimentaire, la logistique, la consommation et le capital social. Cette initiative a permis de créer un dialogue entr partenaires et aussi une dynamique entre le privé et les agriculteurs en ce qui concerne l’usage des intrants (Laamari et al. ; 2015). Cependant, il faut noter que l’adoption des variétés et toutes les technologies associées est restée limitée. De même que le projet a contribué à introduire de nouvelles formes organisationnelles en mesure d’améliorer la valorisation des légumineuses.
La mise en place d’une alliance impliquant tous les acteurs de la chaine de valeur des légumineuses pourra contribuer à améliorer les performances de ce secteur à travers :
• La considération des préférences en traits génétiques des acteurs
• Cibler les recherches en amélioration génétique sur les légumineuses tenant compte des préférences des acteurs
• Animer la collaboration entre agents de la filière
• Optimiser les programmes de transfert de technologies et de conseil agricole
Plusieurs travaux en sciences sociales ont montré qu’il est possible d’optimiser la collaboration entre agents économiques au sein d’une filière à travers le rapprochement des relations et des objectifs entre eux et le partage des moyens (Chevallier ; 2009). L’alliance est une forme d’organisation qui permet aux partenaires de travailler ensemble pour atteindre un objectif commun. La question fondamentale est d’identifier un objectif ayant le consensus des différents acteurs de la filière. Cibler les producteurs organisés ou travailler à travers des associations et
des coopératives permettent aux petits agriculteurs à mieux affronter les contraintes limitant leur capacité de générer des revenus considérables. Travailler en association peut aider les producteurs à accéder à des marchés à plus forte valeur des économies d'échelle qui ne seraient pas réalisables individuellement. De plus, travailler en association peut faciliter le partage des connaissances techniques et des meilleures pratiques de production et de commercialisation au sein du groupe, améliore la productivité et rédut les coûts de transaction et de transport (http://www.fao.org). Donc l’alliance est une forme d’organisation en mesure d’optimiser la collaboration tenant compte des compétences des agriculteurs, des professionnels, des industriels, des chercheurs et des agents de développement).
Listes des références bibliographiques :
Abdelali Laamari ( 2015). Etude Données de Base des Légumineuses Alimentaires Au Maroc: Analyse de l’offre Coûts de Production et Indicateurs de Performances. L’INITIATIVE MAROCCO-INDIENNE POUR LE DEVELOPPEMENT DES LEGUMINEUSES ALIMENTAIRES ( Projet IMILA).
Abdellah Raya (1984). Les orientations technico-économiques des exploitations agricoles : cas de la région de Meknès. Mémoire de fin d’études ENAM ;
Ahmed Driouchi et Abdelali Lâamari (1988). Guide général pour l’évaluation des coûts de production des cultures. Guide N°1 pour l’analyse en économie rurale. Projet USAID N° 608-0136. Centre Régional de la Recherche Agronomique de la Chaouia, Abda et Doukkala ;
Kradi C., Hilali H., Guirrou Z. et Daoui K. (1994). Système de production des légumineuses alimentaires dans la région de Taounate. Projet ‘’Réseau Maghrébin de Recherche sur Fèves’’ (REMAFEV). Rapport INRA-GTZ ;
Ministère de l’agriculture et de la pêche maritime, L’Année Agricole Septembre 2013, Note stratégique n°94 ;
Moore K., Nassif F., Sefrioui A. and Riddle R(1993): Aridoculture baseline study and farming system typology. INRA-USAID-MIAC Project N°608-0136, Série B 05/1.
Guerraoui Driss (1985). Agriculture et développement. Editions Maghrébines, Paris. 1 vol (231 p) ;
Akesbi N. et Guerraoui D. (1991). Enjeux agricoles: Évaluation de l'expérience marocaine. Editions FENNEC D.L Casablanca, Maroc 1 vol (150 p) ;
Gallais Endré (2018). Histoire de la génétique et de l’amélioration des plantes dans le monde et en France. Editions Quac. 286 pp
Carmine Paolo De Salvo (Non date): Productive Alliances in Latin America and the Caribbean. http://www.fao.org/fileadmin/
4.2.3 Justification du projet (intérêt et originalité)
En 2015, les terres agricoles représentaient près de 69 % du territoire nationale du Maroc (Banque Mondiale), toutefois une grande partie de cette surface est dédiée aux parcours (53 millions d’ha dont un tiers environ est sur-pâturé) et les forêts s’étendent sur près de 9 millions ha. Les terres cultivables ne couvrent ainsi que 8,8 millions d’ha (soit 18 % de la superficie totale).Seulement 1,4 million d’ha (15 % de la SAU) sont irrigables, le reste est constitué de terres bour réparties entre 55 % de la SAU en bour défavorable et 27 % en bour favorable.
La majorité des exploitations est de taille trop réduite pour mobiliser des moyens techniques et financiers suffisants à l’intensification agricole. Cependant, étant donné l’importance du bour défavorables dans la SAU, la principale contrainte de l’agriculture marocaine est la forte dépendance des aléas climatiques et notamment à une pluviométrie très erratique. Cette contrainte a largement marqué les systèmes de production adoptés par les agriculteurs dans les différents agrosystèmes.
Pour se limiter au bour, les légumineuses ont occupé une place de choix pour différentes raisons. La contrainte main d’œuvre a été parmi les facteurs de production qui ont marqué le mode de faire valoir, presque la totalité de la production des légumineuses est réalisée en association sous différentes options de partage compte tenu des contributions des différentes parties impliquées dans le processus de production et de valorisation des grains des légumineuses.
L’analyse de la filière a montré que la chaine de valeur des légumineuses alimentaires se caractérise par une grande fragmentation en amont, ce qui diminue la visibilité pour les industriels et les commerçants en termes de quantités produites par les agriculteurs, et en termes de caractéristiques intrinsèque (valeurs nutritionnels, durée de vie, etc.) et extrinsèque (calibrage, nettoyage, traitement, etc.) des produits. La fragmentation en amont empêche également la création d’une forte collaboration verticale au long de la chaine de valeur, diminuant ainsi la productivité et la compétitivité de la filière. La production nationale est considérée comme artisanale par les industriels et les commerçants, ce qui n’est pas forcément le cas. Cette idée est principalement due au manque de relations verticales entre les différents acteurs, engendrant un manque de communication. Il est à noter que bien que certains agriculteurs offrent des légumineuses de qualité supérieure, la majorité de la production locale se caractérise par une irrégularité du calibre, le non nettoyage et le non traitement, ce qui diminue sa valeur par rapport au produit importé. La prédominance du marché traditionnel reste l’un des principaux points faibles de la filière. Le marché traditionnel, n’offrant généralement pas des données quantitatives fiables, contribue au manque de visibilité dont souffre la chaine de valeur. La dissipation de l’information concernant les variétés des légumineuses au niveau des produits packagés a également été relevée comme point faible de la filière (Badraoui I, 2016). A cette faiblesse de la chaine de valeur des légumineuses (CVL) s’ajoute l’équité et la collaboration entre les agents de la filière pour permettre un fonctionnement optimum de la CVL. En plus des contraintes technologiques, qu’il faut surmonter pour développer la production des légumineuses, il est nécessaire de mettre en place une plateforme en mesure d’optimiser les efforts des acteurs de la CVL, les chercheurs et les conseillers agricoles dans le cadre de la nouvelle stratégie ‘‘Génération Green ‘’.
Cette recherche fait partie des recherches conduites par l’INRA/ICARDA dans le cadre du projet «Enhancing innovation and technology dissemination for sustainable agricultural productivity in Arab countries » dont l’objectif principal est l’amélioration de la productivité et par conséquence la sécurité alimentaire et la croissance économique tout réduisant la pression sur les ressources naturelles. Parmi les composantes du projet qui concernent le Maroc :
1. Améliorer le système de production et diffusion des semences
2. Ciblage intelligent des outputs en germoplasm
3. Développement d’exploitations agricoles profitables et durables
Ainsi cett axe vise étudier les contraintes et défis auxquels fait face la CVL et renforcer la relation entre la recherche et les considérations socio-économiques pour développer des technologies à la demande, assurer le cycle de génération de technologies raffinées et assurer une intensification durable. Ainsi la particularité de cette recherche est d’essayer de lier le progrès génétique aux défis de la CVL et aussi renforcer la relation entre la science, l’environnement socioéconomique et la politique.